principiorum gondorlae descriptio

 

Bienvenue dans la description des principes de Gondorla.

 

Gondorla est un objet imaginaire que des veines narratives rendent visible.

Gondorla se sert d'elles comme de papier-peint, de dallage, ou de lambris dans ses salles.

N'hésitez pas à circuler par le menu en haut à gauche de la page.

 

Les analogies des récits tapissent partout Gondorla.

Cette Seconde Nature est l'étoffe de sa structure disparate et périssable.

 

Gondorla n'a rien à dire sur le monde et son épaisseur.

Elle est une maison de papier, une forme transitoire dans notre monde.

Son centre, sans cesse en déplacement, est idéalement une halte translucide pour reprendre des forces.

Chacun peut s'attarder en Gondorla avant de reprendre le cours de sa vie.

Avec un peu de chance, chacun le fera le cœur plus déterminé qu'auparavant.

 

O. Novanni

 


un Gondorland de roses

Détail d'après un Nu de Pierre  Bonnard, actuellement à Washington.
Détail d'après un Nu de Pierre Bonnard, actuellement à Washington.

Dans le Nu dans un intérieur de Pierre Bonnard, le corps d'une femme est divisé entre sa forme nue, à la fois montrée et cachée, et un rendu de son corps équivalent, aplati en un papier-peint à motif floral rouge sur fond safran.

Le mur d'un jaune riche élargit l'ambiance de la scène, à la fois rêveuse, luxuriante et érotique.

Toute cette atmosphère peut être mise en regard d'un chapitre de La Prisonnière, un volume de la Recherche.

 

En fait, si votre regard glisse vers la droite du tableau, vous entrez en Gondorland.

 

Dans ce territoire, vous entendrez des échos du vers de Gertrude Stein dans son poème de 1913 "Sacrée Emily" : "Rose est une rose est une rose est une rose.", qui parvient à un effet de analogue de papier-peint. L'écho est d'autant plus fort du fait des nombreuses références à ce vers, qu'elles soient littérales ou ironiques, qui ont été répandues dans la culture pop depuis. Prises ensembles, elles ont toutes tissé leur propre tissu velouté.

 


dafen

Dafen est un village urbain en Chine. Il fournissait la majorité des peintures à l'huile vendues dans le monde. Ses brigades de travailleurs artistiques copiaient à grande échelle des classiques des musées internationaux, comme des Tournesols de Van Gogh. La division du travail était extrême, depuis les travailleurs qui badigeonnaient les fonds, aux très compétents finisseurs en charge des détails des personnes et des paysages. Les toiles servaient ensuite

à la décoration de chambres d'hôtels, de magasins de meubles etc.

 

Tout le modèle économique de Dafen a été sapé par diverses évolutions contraires. Le coût du foncier a explosé. Il y a eu une tendance à monter en gamme vers des œuvres artistiques plus originales. Dans le même temps, des photographies en haute définition sont maintenant d’abord imprimées sur les châssis. La peinture à l'huile est seulement ensuite appliquée, et ce moyennant un coût et une qualification bien inférieurs.

 

Gondorla pleure cette évolution, car elle a brouillé la beauté initiale des copies fabriquées en masse. C'était en cela que consistait la véritable originalité, et non l'aspiration actuelle à l'authentique expression personnelle, une plaie du monde moderne. Les ateliers haut de gamme de la Renaissance ou du présent, avec des douzaines d'artisans travaillant pour un maître génial qui encaisse le fruit des répliques, sont un pâle écho de l'audace de Dafen.

Ce vilage urbain a atteint la domination du monde du faux, ce qui n'est pas un mince exploit, au vu de la concurrence.

 


némésis

"Nous avons tué un (loup marin) à coups de bâton ; notre jardinier, M. Collignon, le trouva endormi sur le bord de la mer : il ne différait en rien de ceux de la côte du Labrador et de la baie d’Hudson. Cette rencontre fut suivie, pour lui, d’un événement malheureux : une ondée de pluie l’ayant surpris dans le bois pendant qu’il y semait des graines d’Europe, il voulut faire du feu pour se sécher et fit imprudemment usage de poudre pour l’allumer ; le feu se communiqua à sa poire à poudre qu’il tenait à la main, l’explosion lui brisa l’os du pouce, et fut si grièvement blessé qu’il n’a dû la conservation de son bras qu’à l’habileté de M. Rollin, notre chirurgien-major."

Livre XIX
Jean-François de LAPEROUSE, Voyage autour du monde sur l’Astrolabe et la Boussole (1785-1788)


fan-club des tapis & moquettes

A l'instant où Gondorla pense qu'il a tout vu, ou presque, d'une secousse, l'humilité le fait sortir de sa complaisance. L'humilité ne se manifeste pas comme une vieille institutrice revêche. Cette vertu peut réprimander un vantard avec un article de presse. Ainsi, Cameron McWhirter, du Wall Street Journal, a apporté hier à un public plus large un exemple nouveau d'une obsession que ne renierait pas le viseur favori de Gondorla.

 

Peut-être Henry James lui-même n'aurait pas été surpris par ce développement tardif de l'un de ses motifs chéris.


Dans cette itération récente, une poignée de gens sont fascinés par des tapis et moquettes remarquables sur lesquels ils marchent dans des salons d'aéroports, des hall d'hôtels, ou des bureaux. Plutôt, ils ne peuvent détacher leur regard de leurs motifs hypnotiques.

 

Les fans en deuil recherchent des morceaux des tapis après leur arrachage suite à rénovation, comme en 2015 à Atlanta, au Marriott Marquis. Ils achètent parfois des produits dérivés qui leur rappellent leurs moquettes bien aimées.

Pendant une convention de bandes dessinées, les coreligionnaires se retrouvent et défilent, costumés en écho aux motifs qu'ils pleurent à jamais.


Gondorla approuve tout traitement affectueux des murs et sols. Une dimension fascinante du mouvement américain des tapis et moquettes est que sa nostalgie tombe à plat, ce qui correspond à l'ordre parfait des choses.

Il n'a pas d'autre issue visible que le divertissement et la tristesse insaisissables qu'en tirent ses fidèles.

 

Même le fabricant d'un des motifs les plus célébrés ne semble pas s'y intéresser.

 


sourire à jamais

Plus le temps passe, moins Gondorla est capable de se souvenir pourquoi il a commencé, et comment il est organisé.

Réaliser ses manques n'est en rien douloureux, ou pathétique.

C'est tout le contraire : même dans une pièce vide, Gondorla continuerait à sourire de façon digne mais idiote.

Il se fane dans sa propre insignifiance, s'efface comme tant de motifs de papier-peint jadis colorés, ce qui après tout peut être un état relativement commun.

 



une longue chaîne

"Savage tout comme Moehanga lui-même croyait que son savoir européen et les outils offerts le rendraient important à son retour en Nouvelle Zélande.

Mais Moehanga, quoique courageux et intelligent,  n'avait ni le statut, ni la détermination, ni le recul pour que cela se produise. Ses chefs s'approprièrent  ses marchandises, ses histoires ne furent pas crues, et bien qu'il servît dans une certaine mesure comme intermédiaire (les capitaines baleiniers l'utilisaient comme une sorte de facteur), il oublia bien vite l’essentiel de son anglais, ce qu'il refusait d'admettre. Par frustration, il vola une hache dans un bateau étranger, et fut exilé par sa tribu. En 1815, John Nicholas le trouva, prolixe et importun, poussant ses compatriotes à donner le bras aux visiteurs européens, formant ainsi une longue chaîne, selon ce qu'il prétendait être une coutume européenne."

 

Making Peoples, A History of the New Zealanders, From Polynesian Settlement to the End of the Nineteenth Century, James Belich (1996) pp 140-1


énergie centripète

« Ni Tanjung vit dans une petite chambre plongée dans la semi-obscurité. Cette vielle dame de 85 ans est grabataire, trop fragile pour se lever et soutenir son corps. (…) Elle enchante ses nuits par la création fiévreuse de figurines colorées qu'elle dessine et découpe avec soin. (…) Son œuvre se déploie à huis clos, et prend naissance grâce une énergie centripète (…) »
À propos de l’artiste Ni Tanjung, questions à Lucienne Peiry,

Artension (2014)


mirabilia

« Les mirabilia ne manquent pas dans ce Livre XXXVII; mais presque toujours, lorsque Pline cite les vertus merveilleuses attribuées à certaines gemmes, il prend soin de rapporter le nom de l’auteur qui s’est porté garant de faits suspects ou saugrenus, et il laisse entendre qu’il n’y croit pas. »

Eugène de Saint-Denis, introduction (1972) à Pline l’Ancien
Histoire Naturelle, livre XXXVII : (pierres précieuses; objets en ambre jaune, en cristal; vases murrhins)

 


chien archéologique

"Pendant que j’étais dans les Marais (du Sud de l’Irak), je n’ai jamais cherché à rassembler des objets ayant un intérêt archéologique. Mais un jour on m’a donné un sceau hittite, et une autre fois un fragment de feuille de plomb couvert d’incisions qui se révélèrent être des caractères phéniciens. L’homme qui me le donna dit qu’il provenait d’un énorme rouleau qu’ils avaient fondu pour fabriquer des balles. Lors d’une troisième occasion, on me conduisit en grand secret dans une maison, on me montra une figurine de  chien en terre cuite. Sur le dessous était imprimé Made in Japan."

Les Arabes des Marais (1964), Wilfred Thesiger


véhémence du coeur

 "... mais l’Espagne l’emporte par le sparte de ses déserts, ainsi que par la pierre spéculaire, et aussi par ses teintures luxueuses, par son ardeur au travail, par l’activité de ses esclaves, par l’endurance physique des hommes, par (la véhémence de leur coeur)."

L'Histoire Naturelle, Livre XXXVII - Des pierres précieuses (env. 77 après J. C.)

Pline l'Ancien

(Traduction originale Eugène de Saint-Denis)


impulsions vulgaires


Miss Ambient « avait, je crois, la dotation habituelle d’impulsions vulgaires : elle souhaitait qu’on la regarde, elle souhaitait se marier, elle souhaitait qu’on la considère originale.»
L’auteur de « Beltraffio » (1884)
Henry James


dada

Le Caporal Trim, détail d'après le Siège de Namur (1773), gravure d'après Tristram Shandy par Henry W. Bunbury
Le Caporal Trim, détail d'après le Siège de Namur (1773), gravure d'après Tristram Shandy par Henry W. Bunbury

Chacun chevauche son propre dada.

 

‘I have but one more stroke to give to finish Corporal Trim's character, — and it is the only dark line in it. — The fellow lov'd to advise, — or rather to hear himself talk...’

 

“Il ne me manque qu’un coup de pinceau pour achever le caractère du Caporal Trim, -c’est le seul trait sombre qui y soit. Ce gars aimait à donner des conseils, - ou plutôt, il aimait s’écouter parler...”

 

The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman (La vie et les opinions de Tristram Shandy, Gentilhomme) (1759-1767), Laurence Sterne

 


bizarrerie

D'après Pierre Teyssonnières
D'après Pierre Teyssonnières

"Monsieur, lui dis-je, serait-il indiscret de vous demander les raisons de cette bizarrerie? A ces mots, un air qui exprimait tout le plaisir que ressentent les hommes habitués à monter sur le dada, passa sur la figure du notaire. Il releva le col de sa chemise avec une sorte de fatuité, tira sa tabatière, l'ouvrit, m'offrit du tabac; et, sur mon refus, il en saisit une forte pincée. Il était heureux! Un homme qui n'a pas de dada ignore tout le parti que l'on peut tirer de la vie. Un dada est le milieu précis entre la passion et la monomanie. En ce moment, je compris cette jolie expression de Sterne dans toute son étendue, et j'eus une complète idée de la joie avec laquelle l'oncle Tobie enfourchait, Trim aidant, son cheval de bataille."

 

La Grande Bretèche, Honoré de Balzac (1831)