analogies : la coque

Par exemple :


pastaga

Plus je vide mon flacon d'un demi-litre d'Agua Brava, plus j'aime sa forme dessinée par André Ricard (né en 1929 à Barcelone). On tient la pinte comme une grande flasque, quelque chose de plus terre-à-terre et de plus viril qu'un flacon de parfum coûteux.

Il y a du Gondorlesque, de l'extravagant, de l'Arabe, dans la simple taille de ce contenant vert sombre, aussi normalement je m'asperge généreusement avec cette accessible Eau de Cologne de chez Puig.

Son bouchon brun éhonté est en imitation bois. Première commercialisation : 1968. Cela sent le tendre souvenir des rues et des terrasses espagnoles.

Ce matin dans la salle de bain, tandis que je regardais par la fenêtre, songeant à une chose sans lien avec les habitudes de la toilette, j'ai senti le goulot froid sur mes lèvres, j'ai goûté le poison du parfum classique catalan au pin que j'allais boire sans y penser plus que cela, une première dans le cours de ma déjà trop longue vie.

Peut-être mon moi intérieur à ce stade s'était-il rapproché d'un pouce vers celui d'un alcoolique dans un centre de désintoxication, enfermé loin de toute tentation, et prêt à boire tout ce qui pourrait se trouver sur mon chemin en matière de substitut toxique, éventuellement caché dans un faux-plafond, très haut par dessus la tête des infirmiers qui ne se douteraient de rien.

Mais boire, je ne l'ai pas fait. Et je ne bois pas.

Un flacon dessiné par André Ricard. Il doit être cousin avec les fabricants d'apéritifs. Quel pastis !

 


le son du silence

Entre 1925 et 1932, la musique était limitée à un quart maximum du temps d'émission, dans tous les cas. Si vous allumiez votre poste de radio à un certain moment le dimanche, vous n'entendiez rien - c'était l'heure de la prière silencieuse.
Paradise Reforged, A History of the New Zealanders
From the 1880s to the Year 2000, James Belich (2001)
p. 251


ils se levèrent

Quelques jours auparavant, un père avait confié la garde de son jeune enfant à sa vieille mère aveugle pendant qu'il se rendait chez le marchand.  A son retour, il constata que l'enfant était tombé à l'eau et s'était noyé. En ce moment, la cérémonie de deuil se tenait dans sa maison, proche de là où nous demeurions. Des canoés passaient, remplis d'hommes ou de femmes, mais jamais ensembles, et les lamentations montaient et retombaient.  Deux garçons s'arrêtèrent pour parler avec nous. Nous avions chassé le sanglier ensemble dans le passé. Ils restèrent assis à bavarder, jusqu'à ce qu'un des deux dise à l'autre : "Allez, on ferait mieux d'aller là bas." Ils se levèrent, dirent au revoir, et sans prévenir, se mirent à se lamenter très fort et sans arrêt.
The Marsh Arabs (1964), Wilfred Thesiger


ferme et brillante

Mon cher ami, si je pouvais voir la surface dont je rêve, par opposition avec celle dont j’ai dû me contenter. La vie est vraiment trop courte pour l’art : on n’a pas le temps de rendre sa coquille idéalement dure. Ferme et brillante… Ferme et brillante ! Cette chose démoniaque a une façon, parfois, d’être brillante sans être ferme. Quand je toque dessus, elle ne rend pas un son adéquat. Il y a d’horribles petites zones flasques là où j’ai pris un mot de deuxième ordre, parce que, malgré tous mes efforts, je ne parvenais pas à trouver le meilleur.
L’auteur de « Beltraffio » (1884), Henry James


dans la grotte

 

Dans une nouvelle de 1830, Une passion au désert, Honoré de Balzac suit un soldat perdu de l'expédition d'Egypte conduite par Bonaparte. Le Provençal de vingt-deux ans échappe d'abord à sa captivité chez les Maugrabins (sic), à la tentation du suicide, et trouve refuge dans une grotte au milieu des sables.

 

La grotte héberge déjà un fauve : « Ce lion d'Égypte dormait, roulé comme un gros chien, paisible possesseur d'une niche somptueuse à la porte d'un hôtel. » Mais très vite, la bête se présente « dans une pose aussi gracieuse que celle d'une chatte couchée sur le coussin d'une ottomane. »

 

Et, à bien la regarder : « Il songea involontairement à sa première maîtresse, qu'il avait surnommée « Mignonne », par antiphrase, parce qu'elle était d'une si atroce jalousie, que, pendant tout le temps que dura leur passion, il eut à craindre le couteau dont elle l'avait toujours menacé. Ce souvenir de son jeune âge lui suggéra d'essayer de faire répondre à ce nom la jeune panthère, de laquelle il admirait, maintenant avec moins d'effroi, l'agilité, la grâce et la mollesse. Vers la fin de la journée, il s'était familiarisé avec sa situation périlleuse, et il en aimait presque les angoisses. Enfin, sa compagne avait fini par prendre l'habitude de le regarder quand il criait en voix de fausset: Mignonne! Au coucher du soleil, Mignonne fit entendre à plusieurs reprises un cri profond et mélancolique. »

 

Pas question d'en rester là : « … le soldat admirait la croupe rebondie de la panthère. Mais il y avait tant de grâce et de jeunesse dans ses contours ! C'était joli comme une femme. La blonde fourrure de la robe se mariait par des teintes fines aux tons du blanc mat qui distinguait les cuisses. La lumière profusément jetée par le soleil faisait briller cet or vivant, ces taches brunes, de manière à leur donner d'indéfinissables attraits. Le Provençal et la panthère se regardèrent l'un et l'autre d'un air intelligent ; la coquette tressaillit quand elle sentit les ongles de son ami lui gratter le crâne, ses yeux brillèrent comme deux éclairs, puis elle les ferma fortement. »

 

Des traducteurs reculent devant cette "croupe rebondie" et la phrase entière passe à la trappe.

 

Certains commentateurs font état de leur gêne devant cette sensualité dite ambiguë, quand elle a tout de l'explicite et du transparent : « La sultane du désert agréa les talents de son esclave en levant la tête, en tendant le cou, en accusant son ivresse par la tranquillité de son attitude. »

 

Gondorla, elle, n'est pas bégueule : elle aime les grottes où l'on s'égare.

 

Et dans la traversée de la Comédie humaine, cette fantaisie orientaliste est une petite oasis. Le soldat s'éloigne (un peu) des stratégies financières ordinaires des romans.

 

Quoique.

 

Le terre-à-terre balzacien dont l'économiste Thomas Piketty souligne l'imprégnation sociale dans son best-seller Le capital au XXIème siècle n'est jamais loin. A propos du jeune homme au pied d'un palmier : « … ainsi qu'un héritier qui ne s'apitoie pas longtemps sur la mort d'un parent, il dépouilla ce bel arbre des larges et hautes feuilles vertes qui en sont le poétique ornement, et s'en servit pour réparer la natte sur laquelle il allait se coucher.»


chapeau d'aluminium

Dans la culture pop, le chapeau d’aluminium (tin foil hat) est un accessoire paranoïaque apparu dans la science-fiction des années 1920.

 

Il permet de se prémunir contre les ondes néfastes, dont celles émises par les extraterrestres et les télépathes qui tentent de contrôler nos esprits.

 

Son port est recommandé lors de la lecture de Gondorla. Elle entretient de toute façon un rapport paradoxal avec la réalité, le bon sens, etc.


la princesse de cadignan

Détail d'après Diane de Maufrigneuse, par Ch. Ch.
Détail d'après Diane de Maufrigneuse, par Ch. Ch.

"Quand on songe à ce que fut, sous la Restauration, la belle duchesse de Maufrigneuse, une des reines de Paris, une reine éclatante, dont la luxueuse existence en aurait remontré peut-être aux plus riches femmes à la mode de Londres, il y avait je ne sais quoi de touchant à la voir dans son humble coquille de la rue Miromesnil, à quelques pas de son immense hôtel qu’aucune fortune ne pouvait habiter, et que le marteau des spéculateurs a démoli pour en faire une rue."

Honoré de Balzac, Les Secrets de la princesse de Cadignan (1839).

 


vaisseaux

Les coques des vaisseaux permettent la navigation. Elles sont dures, jusqu'à ce que des récifs ne les fracassent.

 

Les pirates leur sont consacrés.

 

 


bernard l'hermite

Pour lui les coquilles sont interchangeables, il loge où il veut.

 

Gondorla fait comme elle peut. Elle prend les formes qui lui sont accessibles, et avec ces formes elle raconte des histoires (jamais vraiment les siennes).

 

C'est le destin de Joaquim dans Comme à la maison.

 


caravane

Les caravanes contemporaines, ou pire les campings-cars, sont saisies par la démesure et la prolifération d'accessoires.

 

Naguère, elles pouvaient ressembler à un escargot et garder une simplicité de cabane enfantine, avec dînette associée.

 

Comme à la maison leur rend hommage.

 


amande

L'amande est la matière des dragées de mariage : quelqu'un va apparaître pour le sauver. L'amande est patience et promesse.

 

L'amande est le fruit des Contes du parc.

 

Aussi dur que lui est la châtaigne des castagnes incessantes de Guignoltoon.

 

Dans Gondorla, le double inverse de l'amande est le raisin, particulièrement le muscat. Le muscat est sans protection, se conserve mal, coule, fermente en vin doux. Il est exaltation de la pleine maturité sensuelle juste avant la mort.

 

Ce raisin nourrit la suite Dark Boy, Muscat, et Après les Fêtes.

 

 

 


fossiles

Le calcaire à gryphées est un matériau courant des bâtiments anciens de Lyon. Cette pierre remplie de fossiles était extraite tout près de la ville, notamment au nord, à Saint Fortunat dans la commune de Saint Didier.

 

Souvent, quand on monte les escaliers, on a les yeux sur les traces de ces huîtres. Elles rappellent que la région était jadis submergée.

 

Ce sont ces coquillages que l'on voit dans les escaliers sans cesse montés et descendus dans Guignoltoon.

 

Les enfants qui n'ont connu que ces marches de pierre sont surpris dans d'autres villes de les voir remplacées par du bois, matériau pour eux réservé au grenier ou aux maisons de pisé (terre crue banchée) de la rive gauche du Rhône.

 

Gondorla aime tous les types d'inclusion.