Par exemple :
« Tout mon effort conscient lui donne un indice, dans chaque page, chaque ligne, chaque lettre. La chose est aussi concrète là qu’un oiseau dans sa cage, un appât sur un hameçon, un morceau
de fromage dans un piège à souris. Elle est glissée dans chaque volume, comme votre pied est glissé dans sa chaussure. Elle gouverne chaque ligne, elle choisit chaque mot, elle met le point sur
chaque i, place chaque virgule. » Je me grattai la tête. « Est-ce quelque chose dans le style, ou quelque chose dans l’idée ? Un élément dans la forme ou un élément du
sentiment ? » Il me serra la main à nouveau, de façon appuyée, et je sentis que mes questions étaient sommaires, et mes distinctions lamentables.
Le motif dans le tapis (1896), Henry James
Vogelstein se souvenait encore du sentiment de perplexité, depuis en partie estompé, avec lequel, il y a plus d’un an, il avait entendu Mr Bonnycastle s’exprimer un soir après dîner dans sa
propre maison, quand tous les invités étaient partis, à l’exception de l’attaché allemand (qui restait souvent assis tard avec le couple) : « Parbleu ! Il ne reste plus qu’un mois; soyons
vulgaires et amusons-nous un peu : invitons le Président. »
Pandora (1884), Henry James
“L'objet de la peinture, c'est la peinture elle-même et les tableaux exposés ne se rapportent qu'à eux-mêmes. Ils ne font point appel à un “ailleurs” (la personnalité de l'artiste, sa biographie, l'histoire de l'art, par exemple). Ils n'offrent point d'échappatoire, car la surface, par les ruptures de formes et de couleurs qui y sont opérées, interdit les projections mentales ou les divagations oniriques du spectateur. La peinture est un fait en soi et c'est sur son terrain que l'on doit poser les problèmes.
Il ne s'agit ni d'un retour aux sources, ni de la recherche d'une pureté originelle, mais de la simple mise à nu des éléments picturaux qui constituent le fait pictural. D'où la neutralité des œuvres présentées, leur absence de lyrisme et de profondeur expressive.”
Déclaration collective à l’occasion de l’exposition «La peinture en question» au musée du Havre en 1969.
Souvent considérée comme le manifeste de supports/surfaces, un mouvement d'avant-garde français influent en dépit de sa brève existence.
* * *
“Fondé en 1998, Support Surface est un atelier spécialisé dans la fabrication de faux-cadres (châssis) galerie sur mesure. Tous les faux-cadres sont entièrement fabriqués à la main dans notre atelier de la rue Bordeaux à Montréal, avec la plus grande minutie et avec des matériaux de qualité.
C’est pourquoi Support Surface peut vous offrir un vaste choix de dimensions, épaisseurs et formats. Fabriqués avec du pin jointé ou tilleul select nos faux-cadres allient solidité et légèreté. Disponibles seuls ou avec un choix de surfaces montées telles : toile de coton (brute 10-12oz ou apprêtée 10oz) et contre-plaqué (lauan, masonite ou merisier russe.)
Fabriqué pour et par des artistes.”
“Peu à peu, les chacals étaient revenus, plus sournois, à distance des dhôles. Ils reculèrent devant douze loups surgis à l’orient, puis se dispersèrent pour laisser le passage à des hyènes. Celles-ci trottaient insupportablement, avec une vacillation convulsive de leurs dos déclives, et poussaient par intervalles un ricanement de vieille femme. Deux chauves-souris naines tournoyaient sur leurs ailes molles; plus haut, une roussette, qui avait l’envergure d’un aigle, vacillait sous les étoiles; près du feu, les noctuelles éperdues palpitaient par myriades, les némocères formaient des colonnes bruissantes, les coléoptères fous tombaient sur les branches écarlates.”
Le Félin géant J.-H. Rosny aîné. Parution en feuilleton : 1918
J’ai oublié quand, enfant, j’ai découvert ce Félin géant (qui est la suite de La guerre du feu, roman des âges farouches - 1909). Il en existait aussi une version pour la jeunesse en Bibliothèque verte.
Ce roman est criblé de vocabulaire sur la faune, la flore, les techniques qui évoquent les temps préhistoriques. Beaucoup de ces termes m’étaient inconnus. A cause de cela, ils ont laissé en moi l’impression profonde d’un ravissement d'adulte, renforcé par la forme insolite choisie pour le nom de l’auteur.
La nature impénétrable de ce lexique n'était pas un obstacle, mais l'ingrédient même de la féerie.
Le couvent dominicain de la Tourette, près de Lyon, a été inauguré en 1960.
Son architecte, Le Corbusier, n'y a pas placé de vitraux. L'ébrasement intérieur des fenêtres claires est parfois peint de couleurs unies. La lumière du dehors, et la vue sur le paysage, sont teintées de la sorte par le biais sans que le filtre de la couleur ne s'interpose.
De même, dans Gondorla, vos perceptions et souvenirs personnels sont idéalement colorés par la lecture de ses panneaux peints. La lecture donne corps aux liens entre les formes, autour d'un espace dont Gondorla n'a pas la maîtrise.
Les éléments de Gondorla ne sont pas criblés de liens hypertextes qui seraient visuellement fastidieux : des coutures et des cicatrices.
D'un texte l'autre, les mots et les situations se répètent sans se décalquer, et renvoient aux enchaînements à l'extérieur de Gondorla.
J'avais prévu un développement construit sur ce point. En fait, la sculpture du graphiste Stephen Doyle, dont un détail figure ici, m'a enchanté.
Voilà.
Je n'ai aucun goût pour la mise à mort dont la célébration continuée est pour moi une énigme contemporaine.
La mort animale, comme toute mort, est antigondorlesque, puisque l'agôn perpétuellement relancé au coeur de Gondorla se conclut sans mort ni blessures.
Je vis dans un pays d'urbanisation suburbaine galopante, de taureaux noirs, de monuments romains et d'arènes de villages. Ces dernières sont principalement consacrées aux courses camarguaises, à l'agileté des raseteurs, à la bravoure des cocardiers. Le spectacle en blanc contre noir se donne en une liturgie ancienne d'une grande beauté.
Les autres jours, on contourne l'arrondi silencieux, vide, présent, à l'image du coeur de Gondorla, où il n'y a rien à lire.
Souvent les arènes sont posées en marge de vastes dégagements plus anciens comme des mails ou des champs de mars ou de foire. Il faut de la place pour les fourgons, camions, etc., ombragée par de grands platanes bruyants dans le vent.
Dans Carmen (1875), au deuxième tableau du troisième acte, Georges Bizet a placé l'explication finale de Carmen et Don José, seuls à l'extérieur des arènes d'où viennent les acclamations de la foule :
"Une place à Séville. Au fond du théâtre les murailles de vielles arènes... L'entrée du cirque est fermée par un long velum. C'est le jour d'un combat de taureaux."
(Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy)
C'est à l'extérieur des arènes que la tragédie se noue dans l'opéra le plus associé à la tauromachie, jusqu'à lui donner sa musique.
L'analogie de la clairière est à l'organique ce que celle des arènes est au bâti.
La clairière est un milieu de lisière, le plus riche de vie et de diversité.
Idéalement, c'est en son centre qu'ont lieu les apparitions.
Si vous trouvez le temps long, écoutez l'extrait de Parsifal de Richard Wagner dit "l'Enchantement du Vendredi Saint".