Il n'y a pas de projet de Gondorla.
Gondorla aurait du mal à devenir quoi que ce soit. Il est déjà assez compliqué pour elle de simplement être.
Je lisais, je voyais, j'écoutais, je visitais des choses merveilleuses produites par le génie humain. Un jour, je me suis dit : voilà qui est fabuleux, et n'a pas à être dupliqué davantage. Bien des gens le font déjà parfaitement bien.
Sur ce, une fée dérangée me jette un sort. Elle m'envoûte, me chuchote : "Et si toi personnellement, à ton niveau microscopique, tu construisais quelque chose qui n'existe pas encore ?"
Et paf ! : je me retrouve dans un lieu de plaisir. C'est un dédale bienveillant à voûte transparente qui repose sur des piliers les plus fins et les plus espacés possible. Ce jardin d'hiver, ces thermes, cette galerie, ce scriptorium, se développent de façon organique. Je les évoque avec des dessins et des mots.
En ce lieu de fantaisie, on me fiche la paix, à moi dans la solitude, ou la companie de qui s'arrête, s'attable ou se repose. Nul bruit de fond produit par ceux de nos congénères qui parlent par dessus nos têtes, et nous expliquent quoi penser et comment vivre.
La fée dingue s'est sauvée. Comme certaines personnes ici le disent très fort en renversant la tête en arrière, et en joignant les mains : "Mon Dieu !" (prononcé mon-ne di-ieu).
Je ne suis pas sorti de cette auberge. Elle vous est ouverte.
O. Novanni
"Pline fut le seul auteur a donner une place primordiale aux matériaux dans l'histoire culturelle, politique et artistique d'une civilisation. (...) Ce fut (...) par le marbre qu'il en vint aux oeuvres, à la sculpture et aux décors d'architecture. Par cette démarche, il lui conféra un statut très particulier qui influença sa perception, transmettant des siècles de croyance à des siècles de distance."
Marbres de carrières en palais, Pascal Julien (2006) p. 59
Des gens sérieux assurent que, depuis la fin du dix-huitième siècle, le monde s'est engagé dans un mouvement de surproduction intellectuelle, qui désormais s'emballe.
En cause : la généralisation de l'instruction et l'élévation de son niveau, dans des populations en croissance et un nombre croissant de pays; une multiplication des moyens de diffusion et de stockage; davantage de temps consacré à autre chose que la survie, etc.
On ne sait plus où donner de la tête. On n'a qu'une vie. On est trop sollicité/e.
Gondorla est heureuse d'ajouter sa goutte à ce qui est une vague vivifiante, ou une marée noire, selon.
"- Que brûles-tu là, Père ?
- Un panier, répondit simplement François.
Léon regarda de plus près. Il distingua les restes d'un panier d'osier qui achevait de brûler.
- Ce n'est tout de même pas le panier que tu étais en train de confectionner ces jours-ci ?
- Si, c'est précisément celui-là, répondit François.
- Pourquoi l'as-tu brûlé ? Tu ne le trouvais pas
réussi ? demanda Léon, étonné.
- Oh ! si, très réussi. Trop réussi, même.
- Mais alors, pourquoi l'as-tu brûlé ?
- Parce que tout à l'heure, tandis que nous récitions Tierce, il m'a distrait au point d'accaparer toute mon attention. Il était juste qu'en retour j'en fasse le sacrifice au Seigneur, expliqua François."
Père Eloi Leclerc Sagesse d'un pauvre
Il y a des années, j'ai réellement trouvé une bouteille sur une plage de la Manche.
Le message qu'elle contenait était en caractères cyrilliques. Je ne connais aucune des langues des slaves orthodoxes qui utilisent cet alphabet. J'ai mis de côté ce mot en attendant de trouver quelqu'un qui me le traduirait, puis je l'ai perdu dans un déménagement.
Pourtant, il serait extraordinaire qu'une pareille trouvaille se reproduise.
'Relax, said the night man,
We are programmed to receive.
You can checkout any time you like,
But you can never leave.'
Hotel California (1976), Eagles (Don Felder, Don Henley, Glenn Frey)
("Reste calme, me dit le gardien de nuit,
Nous sommes programmés pour accueillir.
Tu peux régler ta note quand tu veux
Mais tu ne pourras jamais partir.")
Parfois, quelqu'un me questionne sur Gondorla, je réponds de mon mieux. Les yeux de cette personne deviennent rectangulaires, ou son regard glisse sur le côté, vers un point derrière moi, dans le vague. On en reste là, dans une gêne, une consternation.
Le monde est un lieu brutal. La vie a des degrés variables de tendresse. Et pourtant, inexplicablement, Gondorla ne m'a jamais laissé tombé. Quand il le faut, il/elle est là et déploie sur moi son manteau.